J’ai commencé à intégrer le milieu de l’intelligence collective en 2012. À cette époque, ce mot était encore peu prononcé en France. On parlait de conseil alternatif qui redonnait du pouvoir aux personnes impliquées, de OD – Organization Developpement, terme anglais qui propose de développer les hommes et les organisations en même temps. Le MIT a ouvert son laboratoire de l’intelligence collective en 2011 sous l’impulsion de Tom Malon et aujourd’hui, les formations se multiplient. Tout le monde emploie le mot intelligence collective, des startups au gouvernement, en passant par les entreprises de toutes tailles, les ONG, les administrations, ou l’éducation nationale. Les publications se multiplient. Nous observons un vrai point de bascule, opéré en peu de temps.
Pourtant, ces façons de faire sont des plus anciennes et sont presque intuitives pour l’être humain. L’intelligence collective trouve ses sources chez les philosophes grecs, tel Socrate, en psychologie sociale dès la moitié du 20ème siècle, en sciences physiques et en biologie. Alors pourquoi un tel engouement aujourd’hui, de façon si soudaine et rapide ?
Une première hypothèse est de considérer que le monde s’accélère et devient VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity). Face à cette transformation, les façons de faire d’hier ne fonctionnent plus. L’héritage du monde industriel qui permet de produire des grands volumes en maintenant qualité et sécurité est remis en cause. Les modes de fonctionnement basés sur les processus et les plans stratégiques à long terme sont devenus inopérants. Aujourd’hui, les problématiques qui se posent à nous nécessitent que nous innovions, c’est-à-dire que nous trouvions des solutions nouvelles à des problèmes nouveaux. Et, face à la complexité et l’incertitude, il devient nécessaire de croiser des points de vue multiples pour s’approcher au mieux de la réalité. L’intelligence collective, qui permet de relier les points de vue diverses au service d’un objectif défini, est donc une façon de faire adaptée aux enjeux actuels.
Dans le même temps, l’intelligence artificielle et le big data ont fait leur apparition. Depuis les années 2000, la capacité des ordinateurs à traiter un nombre important de données structurées croit de façon exponentielle. Les programmes informatiques peuvent prendre en charge tout ce qui relève du compliqué, ce qui se prédit à partir des données issues du passé. L’homme au travail, lui, doit maintenant se concentrer sur ce qui relève du complexe et de l’imprédictible. Il a besoin de mobiliser toutes ses compétences humaines, son imagination, sa créativité, ses émotions et ses interrelations avec les autres. Or, comme la quantité de données non structurées augmente elle aussi de façon exponentielle, seule l’intelligence collective permettrait aujourd’hui d’augmenter les capacités des humains.
Cependant, ces raisons ne suffisent pas à expliquer un engouement si fulgurant pour ce sujet. En parallèle de ce mouvement, il y a des leaders, des dirigeants, des élus, qui, en toute humilité, expriment le fait qu’ils ne savent pas tout et ont besoin d’aide, de contributions. À l’instar du gouvernement qui en 2019 lançait ‘Le Grand Débat’ pour demander aux citoyens de faire des propositions sur 4 sujets clés, les dirigeants d’entreprises font eux aussi face à des questions dont ils n’ont pas la réponse : comment développer l’attractivité de notre activité ? Où investir demain ? Comment va évoluer notre métier ? Comment relier création de valeur économique et sociale ? N’ayant pas la réponse, ils font la démarche de demander à ceux qui savent, c’est-à-dire à ceux qui font, de leur faire des recommandations. Ces leaders actuels savent lancer des démarches en intelligence collective pour mobiliser des groupes aux services des problématiques concrètes, et permettent par là même le développement de ces pratiques.
Toutes ces explications sont valides et logiques, pourtant, elles semblent faibles par rapport à l’ampleur du phénomène. Et si l’intelligence collective était une nouvelle forme d’engagement collectif, qui permettrait de vivre une aventure avec des pairs pour reprendre les rênes d’un destin commun ? Et si c’était une voie d’évolution pour sortir des sociétés actuelles, dictées par l’individualisme, l’injonction de gestion de soi et de surpassement individuel, qui mènent souvent à la dépression ? Et si c’était un mouvement politique pour faire société ensemble avec une redistribution des pouvoirs ? Et si c’était une nouvelle façon de relier l’individu et le collectif, le ‘JE’ et le ‘NOUS’ , de permettre à chacun de mettre ses talents propres au service d’un objectif commun ?